Les agences de placement de personnel
Traditionnellement, en droit québécois, le contrat de travail individuel est conclu entre deux parties, soit le salarié et l’employeur. Avec le temps, le marché du travail s’est transformé. Maintenant, il n’est pas rare qu’une entreprise engage un salarié et offre les services de ce dernier à une autre entreprise, laquelle a des besoins en main-d’œuvre. On appelle communément l’entreprise qui engage le salarié une « agence de placement de personnel ». Pour avoir un tel titre, la « location » de main-d’œuvre devrait normalement être son activité principale sinon unique.
En 2018, la Loi sur les normes du travail (la Loi) a été modifiée afin de mieux encadrer ce type d’entreprises, notamment en prévoyant l’obligation pour celles-ci de détenir un permis. De plus, via un règlement, le législateur est venu définir en quoi consiste une « agence de placement de personnel » ainsi que les conditions d’octroi des permis par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Depuis ce temps, bon nombre d’entreprises nous ont consulté, jonglant avec leur conformité, puisqu’elles se considèrent des « sous-traitants » fournissant des services en plus du personnel et non comme des « agences de placement de personnel ».
En 2020, des associations d’employeurs déposent un recours devant les tribunaux, estimant que la définition prévue au règlement est trop large. Selon elles, la définition vise des employeurs dont les activités ne sont pas celles dont on peut s’attendre d’une agence de placement de personnel, soit d’engager des salariés et d’offrir leurs services à d’autres entreprises.
Prenons l’exemple de l’employeur A, qui opère une usine, qui décide d’offrir les services d’un de ses salariés à un employeur B, qui opère une autre usine, dans le contexte d’un arrêt d’usine pour entretien (communément appelé « shut down »). En raison de la définition très large du règlement, l’employeur A pourrait être considéré comme une agence de placement de personnel, et ce, même si le fait d’offrir les services d’un de ses salariés à un autre employeur ne constitue pas l’une de ses activités régulières. Indirectement, ceci aurait notamment pour effet d’imposer à l’employeur A d’obtenir un permis et de devoir rémunérer son salarié au même salaire que ceux de l’employeur B.
À titre de second argument, les associations soumettent que le gouvernement ne pouvait pas déléguer à la CNESST le pouvoir de déterminer certains critères permettant de délivrer un permis, comme celui concernant les infractions antérieures commises par l’entreprise présentant la demande.
Le 26 octobre dernier, la Cour supérieure a donné raison aux associations d’employeurs en s’appuyant sur le principe juridique à l’effet qu’un règlement ne peut prévoir plus que ce que la loi permet elle-même. Ainsi, dans le cas qui nous occupe, la Loi vise à instaurer un régime qui s’applique aux entreprises qui sont spécialisées dans le placement de personnel. Ainsi, puisque la définition prévue au règlement est trop large et va au-delà de l’objectif de la Loi en visant notamment l’employeur A de notre exemple, la Cour détermine que cette même définition est nulle.
Quant à l’argument relatif à la délégation de pouvoir, la Cour estime que « les dispositions ne permettent pas à l’intervenante CNESST de refuser déraisonnablement un permis à une agence pour une infraction qui n’aurait pas de lien avec les activités pour l’exercice desquelles le permis est demandé ». Ainsi, cet argument est rejeté.
Suivant la réception de cette décision, le gouvernement dispose de deux choix : il peut déposer une demande de permission d’appeler à la Cour d’appel ou retourner à la planche à dessin et adopter une définition plus précise pour ce qui est des « agences de placement de personnel ».
Notre équipe restera à l’affût pour vous dans ce dossier puisque si la décision de la Cour supérieure devait être renversée et la définition maintenue, plusieurs employeurs québécois devront songer, si ce n’est pas déjà fait, à modifier leurs activités ou encore à présenter une demande d’obtention de permis, ce avec quoi nous pourrons, bien évidemment, les aider.